alerte dématérialisation

Alors que la dématérialisation prend de plus en plus de place dans le paysage administratif et social, nous avons voulu interroger notre équipe d’assistantes sociales du travail pour mieux connaître les conséquences de cette dématérialisation sur les personnes accompagnées et sur leur pratique professionnelle.

Un grand merci à Mélany ANTERIEU, Julie AMOUREUX, Guillemette GARCIA, Claire DELAMARE, Estelle SALIETTI, Yohann CEZILLY et Océane VINASSAC pour leurs témoignages.

Comment la dématérialisation des démarches impacte-t-elle votre pratique professionnelle et le parcours des personnes accompagnées ?

Un gain de temps… mais à condition d’être équipé

Comme toute innovation, le numérique et notamment la dématérialisation ne fait pas l’unanimité. Toutefois, une partie des assistants sociaux interrogés observe que les nombreuses plateformes en ligne qui ont vu le jour ces dernières années ont amené plusieurs avantages non négligeables :

  • un accès plus facile à l’information et à un nombre important de documents administratifs et de démarches
  • une réduction drastique du coût de l’impression papier et des envois postaux
  • un meilleur archivage des démarches réalisées

Cependant, pour obtenir le bénéfice de cette dématérialisation et le gain de temps qu’elle apporte, les professionnels notent que cela exige d’avoir un équipement adapté et des connaissances de base en informatique. Le « tout numérique » exclut de fait les personnes n’ayant aucun outil informatique induisant un risque d’isolement social et de non-recours à leurs droits.

Un ralentissement des démarches au détriment de l’accès aux droits

Contrairement au gain de temps observé dans certains cas, la réalité est tout autre sur le terrain : la dématérialisation peut être un gros frein dans les démarches et pour l’accompagnement social. Elle provoque un ralentissement des dossiers et multiplie les rendez-vous en faisant perdre un temps précieux à la personne concernée, comme l’illustre l’exemple de Claire DELAMARE :

« J’ai reçu un salarié la semaine dernière dont la mère est en EHPAD. Monsieur souhaitait faire une demande d’Aide Personnalisée au Logement en EHPAD, mais le site de la CAF buguait, donc impossible de faire la demande en ligne. Nous avons dû appeler un conseiller CAF qui nous a répondu qu’au bout de 15min d’attente. Finalement, il nous a orienté vers une demande papier ! Une fois que nous avons eu toutes ces informations, l’heure de RDV avec Monsieur était arrivée à son terme et nous avons donc dû fixer un nouveau RDV pour poursuivre la démarche, ce qui va retarder sa demande. »

La perte de temps se provoque aussi par le nombre de tâches qui se rajoutent à la démarche en elle-même : trouver les codes, obtenir un interlocuteur en cas de problème technique, mettre des alertes mails… Toutes ces étapes exigent également que la personne accompagnée ait un smartphone ou puisse simplement accéder à sa boîte mail sur place…

En voici un exemple raconté par Estelle SALIETTI : « Je passe mon temps sur écran, tout est plus long, plus contraignant. En papier, je copie un document, le mets sous enveloppe avec un formulaire et c’est réglé. En dématérialisé, je dois scanner, parfois modifier le document car trop lourd, tout est plus lent car cela dépend du bon fonctionnement des machines, des sites et d’internet. »

Les plateformes téléphoniques déshumanisées, le manque de rendez-vous et d’interlocuteurs physiques, les obstacles informatiques et tous ces freins repérés peuvent provoquer :

  • de la frustration, de la colère ou encore de l’épuisement qui éloignent les personnes de leurs droits
  • un réel impact sur la relation d’aide avec l’assistant.e social.e qui les accompagne et une perte de confiance dans les services censés aider les citoyens

Quelle catégorie de personnes est la plus touchée ?

Yohann CEZILLY apporte une nuance sur le fait que toute les couches de la population peuvent être affectées mais n’ont pas les mêmes moyens de « contournement ». Par exemple les personnes plus aisées financièrement qui ont des alternatives aux services sociaux, notamment des services privés payants pour effectuer leurs démarches numériques.

Quelles sont les raisons de « l’inégalité numérique » que vous pouvez observer lors de vos interventions sociales ? 

Comme nous l’indique Yohann CEZILLY qui a fait son mémoire d’étude sur ce sujet, « le terme « d’inégalité numérique » permet de mieux prendre en compte une réalité complexe et multifactorielle que le terme généralement utilisé de « fracture numérique » . Le mot « fracture » sous-entend un mal ou un handicap qu’il s’agit de soigner alors que les personnes ont bien le droit de ne pas avoir d’appétence pour le numérique. Ainsi, ces « inégalités numériques » sont souvent le fruit d’inégalités sociales préexistantes. »

Encore une fois, les observations de terrain de nos assistants sociaux interrogés sont plutôt unanimes.

Ou encore le métier exercé pendant la carrière comme nous l’explique Mélany ANTERIEU, intervenant en service de prévention et de santé au travail spécialisé dans le secteur du BTP : « dans ce secteur d’activité, c’est quasi 80% de la population que je reçois et pour qui je crée des comptes numériques, pour l’assurance retraite notamment. »

Quelles sont les principales difficultés liées à la dématérialisation selon vous ?

Malgré l’intention de simplification qui a initié le processus de dématérialisation, c’est plutôt une complexification des démarches qui est observée en réalité.

Cette complexité se retrouve très concrètement au moment de la mise en œuvre des démarches, comme nous l’expliquent Mélany ANTERIEU, Julie AMOUREUX et Guillemette GARCIA :

Toutes ces difficultés ont un impact sur le recours aux droits des personnes concernées mais également sur la pratique des assistants sociaux qui les accompagnent. En effet, l’accompagnement au numérique prend de plus en plus de place dans l’entretien psychosocial et les missions de base.

« Ce n’est plus un outil à mon sens puisque nous en sommes totalement tributaires » nous indique Estelle SALIETTI en parlant de l’aspect contraint de ces démarches qui ne laissent plus le choix : c’est du 100% en ligne. Ce que nous confirme Océane VINASSAC qui rappelle l’impact des freins rencontrés par certaines personnes accompagnées sans équipement, ou résidant dans une zone géographique mal desservie par le réseau internet, ou encore en difficulté avec la complexité des formulaires à remplir (termes techniques, spécifiques)…

Cela pose également des questions éthiques sur l’autonomie des personnes, la protection de leurs données personnelles et sur le renoncement à leurs droits dans certains cas.

Avez-vous des propositions, idées ou alertes à poser à ce sujet ?

La dématérialisation est un sujet complexe et représente un enjeu important qui questionne le périmètre des missions des assistants sociaux. Comme nous le dit Julie AMOUREUX, « on s’adapte » et s’adapter exige du temps ! Mélany ANTERIEU relève le même point et amène l’idée que ce temps soit mesuré pour notamment estimer la part que cet accompagnement numérique prend dans l’entretien d’intervention sociale. En effet, « l’aide numérique » s’impose dans la relation d’aide et il n’y a pas de cadrage clair : comment aider, quelles postures adopter, quels méthodes et moyens mobiliser, et pour quels objectifs1.

« Ce qui est un gain de temps pour les personnes connectées peut devenir un calvaire pour celles qui ne le sont pas… » comme nous le précise Guillemette GARCIA.

D’après toute leur expérience auprès des personnes accompagnées, voici quelques propositions de nos assistants sociaux du travail :

Ressources :

Une vigilance particulière ou un débat plus approfondi serait à mener sur le traitement et la confidentialité des données dans cette pratique d’accompagnement au numérique.

Pour aller plus loin :

Pour en savoir plus sur nos interventions auprès des salariés en entreprises et en service de santé au travail : cliquez ici !
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